L’après-midi était ensoleillé mais le froid était bien installé dans les rues d’Osaka. Le vent contribuait à rafraîchir un peu plus l’atmosphère. Pourtant, une foule dense se pressait dans les rues. Au milieu d’un quartier piétonnier, une jeune femme aux cheveux tenus par une multitude de barrettes bigarrées, et aux lunettes de soleil immenses, mangeant ainsi une partie de son minois marchait avec décontraction, malgré l’étonnement qu’elle ne manquait pas de provoquer.
Son lourd manteau camouflait sa tenue composée d’une paire de jeans et d’un pull angora rose bonbon. Ses bottes en cuir bruns aux talons hauts, martelaient le sol gelé. Sa tenue paraissait colorée contrastant avec la plupart des costumes sombres, et des tenues strictes arborées par la plupart des salary man.
Sae poussa la porte du salon de coiffure se situant non loin de chez elle. L’établissement était moderne. Un jeune homme androgyne se matérialisa devant elle la faisant sursauter ne l’ayant pas vu s’approcher, et avant qu’elle ait le temps de réaliser ce qu’il lui arrivait ; elle se retrouva assise devant un miroir, une tasse de thé vert à la main.
Tosuke, le petit nom de son coiffeur, se désolait de ses coups de ciseaux hasardeux quelques minutes plus tard. Sur la tablette devant la jeune femme, gisait une montagne de barrettes multicolores côtoyant sa tasse fumante. Le regard dur de Sae se reflétait dans le miroir, ainsi que sa mine boudeuse. Elle n’avalait toujours pas le fait qu’elle avait sacrifié sa chevelure dans un geste de révolte. Quoiqu’elle ne regrettât pas son geste. Enfin… si un peu.
« La seule chose que je pourrai vous faire, c’est une coupe très courte, à la garçonne. Il faut que je rattrape les trous que vous avez provoqués, ici, vous voyez ? »
Sae ne voyait rien du tout, mais, elle sentait la main du bel éphèbe qui caressait deux parties de son cuir chevelu découvert, visiblement où les coups hasardeux de la lame n’avait laissé qu’une brosse rêche au touché. La jeune femme hocha la tête d’un air lamentable. Elle était si fière de sa crinière, réduite à néant aujourd’hui. Tosuke lui adressa un sourire chaleureux et rassurant.
« Ne vous inquiétez pas, je vais arranger cela. Avoir les cheveux courts ne veut pas dire, manque de féminité, vous savez…
- Allez dire ça à mon mari. Grommela Sae en songeant aux réflexions de ce dernier quant à ses goûts en matière de femme.
- Oh je pense qu’il n’a pas les yeux assez ouverts sur le joyau qu’il a entre les mains... »
Sae observa amusée le coiffeur qui prenait la pause derrière elle. Elle ne se serait pas qualifiée de la sorte, mais l’idée l’amusa et lui remonta le moral. Elle haussa les épaules et déclara à l’homme qui tirait à présent un petit chariot avec son matériel, à côté de lui près à officier.
« Faites en sorte que je sois présentable… et faite… » Fit Sae en formant des volutes avec ses mains au-dessus de sa tête, « de votre mieux. Au moins que je ne sois plus ridicule
- Vous savez, j’ai un ami qui est relookeur… il pourrait vous aider…
- Non, merci. Je sais très bien m’arranger moi-même. Je m’accommoderai pour la coiffure. »
Tosuke ne perdit pas sa verve pour autant, et Sae s’aperçut qu’ils avaient les mêmes goûts au niveau des sorties, des boutiques, et des affinités au niveau de la mode. Ravi de rencontrer quelqu’un avec qui elle se sentait à l’aise dans sa nouvelle ville de résidence, Sae se détendit. Lorsque le dernier coup de brosse fut donné, Sae eut un mal fou à se reconnaître. Sa transformation était spectaculaire. Ses traits loin d’être masculin avec cette nouvelle coupe, lui donnait un air extraordinairement féminin.
Elle se pencha en avant pour mieux s’observer sous le regard amusé et fier de Tosuke qui derrière lui montrait les arrangements qu’il avait faits. Sae était bluffée, elle ne s’était jamais senti aussi... femme ! Un sourire s’ébaucha sur ses lèvres et plus que ravie, repris un nouveau rendez-vous avec lui un mois plus tard pour terminer les réajustements de coiffure.
Plus tard, Sae s’observait encore une fois dans un miroir de cabine d’essayage, époustouflé par sa nouvelle physionomie. Après tout, elle avait bien le droit de faire ce qu’elle voulait… D’autant que Naonori était parti juste après avoir terminé le repas. Sae songea à leur conversation de la veille lorsqu’il était venu la rejoindre. Elle lui avait tendu le message que « Yasuko Manabe » lui avait laissé. Il avait lu sans broncher et avait plié la feuille pour la mettre dans la pochette de sa chemise.
Elle avait attendu une explication, mais rien n’était venu. Sae s’était reprise en voyant le comportement qu’elle avait adopté malgré elle. Qu’allait penser Ryuzoji, si elle l’interrogeait ? Elle ne voulait pas de malentendu. Sans se démonter, elle avait reprit une conversation normale, sans poser les questions qui fâchent.
Naonori avait été galant, et sa conversation agréable, mais Sae l’observait et répondait du bout des lèvres. La seule chose qui lui revenait sans cesse à l’esprit : elle était la femme de ce type ! Son regard détaillait ses épaules larges dont les muscles tiraient le tissu rayé de bleu de sa chemise. Le col légèrement entrouvert montrait sur un cou puissant ; pour remonter ensuite sur une mâchoire dont les poils d’une barbe de trois jours, étaient soigneusement entretenus. Le regard chaleureux et souriant était entouré de rides d’expressions ajoutant à sa bonhomie naturelle.
Ses cheveux tirés, d’où quelques mèches fines encadraient le visage, ne donnaient pas l’impression qu’il s’agisse d’un homme qui avait un poste clef au niveau de l’état. Ni même qu’il fût noble. Non… et pourtant. Quelque chose dans sa façon de se mouvoir, sa démarche souple ? Quelque chose dans son attitude, sa carrure athlétique ? Quelque chose dans sa prévenance vis-à-vis d’elle, ou une autorité qui ne voulait pas se dévoiler ? Quelque chose, oui, quelque chose l’interpelait.
Pas besoin de soutenir une conversation prolongée pour s’apercevoir que Naonori avait une opinion sur tout, et se tenait très bien informé sur tous les événements et ceux dans tout domaine. La soirée, ils l’avaient passé à regarder la télé et s’était couché chacun de leur côté tard en soirée, visiblement ils ne savaient pas quoi se dire, mais ils ne trouvaient pas le moyen de communiquer non plus.
Sae songea plus tard que Naonori n’avait pas eut un seul geste équivoque, ou même une tentative de se rapprocher d’elle. Toujours ce sourire de façade qui pourtant illuminait ses traits.
Assise en tailleur sur son lit, une bonne heure plus tard, elle se demandait ce qu’elle faisait là ! Deux étrangers obligés de vivre ensemble. Certes, Naonori faisait plus d’efforts qu’elle-même. Mais en même temps, elle était… troublée par cette situation inconfortable. Cette furieuse impression d’être avec son père ne la quittait pas, et elle était mariée avec Ryuzoji !
Que ferait-elle, si un jour son mari tentait de la séduire ? Un frisson de dégout la traversa. Pas qu’il que Naonori fut moche… Non, si elle n’avait pas été marié avec lui, et qu’elle n’avait été qu’une étrangère, elle l’aurait qualifié de bel homme, voir séduisant ou plutôt charismatique… car il n’était pas beau dans le sens classique. Ce qui était sûr, c’est qu’il ne passait pas inaperçu.
Apparemment, le divorce n’avait pas effleuré l’esprit de son mari… alors qu’elle…
Elle s’était couchée finalement, une heure plus tard. La nuit avait été étrangement calme pour elle. Ce qui l’avait surprise au réveil. Elle s’était attendue à des cauchemars en masse, se tournant dans tous les sens pour échapper aux images de son mari essayant de l’embrasser. Mais non, rien de tout cela !
Le lendemain matin, la surprise la frappa lorsqu’elle s’aperçu qu’elle était seule dans l’appartement. Sae avait même cru qu’il dormait. Enfin, jusqu’à ce qu’il sorte de son bureau… le seul endroit qu’elle n’avait pas vérifié… elle avait accusé le choc, et Naonori lui avait souri sans se rendre compte du choc qu’il lui avait causé.
« Ah… Sae-chan ! S’exclama-t-il, comme si elle venait lui rendre visite alors qu’elle ne l’avait pas vu depuis longtemps. Bien dormi ?
- Oui…
- Tu vas mieux ?
- Je n’étais pas malade. Déclara surprise la jeune femme.
- J’ai eu l’impression hier soir, que tu ne te sentais pas très bien.
- Ah ? »
Sae observa son mari qui passait derrière elle pour voir la cuisine vide de tout repas. Voyant l’air interrogatif de Naonori, Sae cru bon d’expliquer.
« Je ne sais pas faire la cuisine…
- Vraiment ? S’étonna le noble.
- Je n’ai jamais eu besoin de la faire…
- Eh bien, c’est l’occasion d’apprendre ! »
Ni une, ni deux, Sae vit quelques secondes plus tard un large tablier noir survoler sa tête pour s’accrocher à son cou. Dessus on pouvait lire, apprenti cuisinier écrit en blanc avec une toque sur le coin d’un kenji. Sae voulu se reculer, Naonori était beaucoup trop près et son eau de Cologne précieuse lui faisait battre le cœur, un peu trop fort. Une chaleur inconnue lui montait aux joues, si on exceptait les courses dans les couloirs de la fac.
Un grain de beauté au coin de l’œil droit de Naonori frappa Sae, alors que ses doigts experts formaient un nœud, puis une cocarde symétrique sur son ventre.
« Voilà ! Tu es prête pour recevoir ton premier cours de cuisine. Je ne dis pas que je suis un cordon bleu, mais je me défends pas mal, à en croire mes convives. »
Sae abasourdie hocha la tête et se repris rapidement lorsqu’elle se sentit pousser vers le plan de travail.
« Eh ! Je n’ai jamais dit que je voulais apprendre la cuisine, moi ! Protesta-t-elle furieuse.
- Il faut bien manger. Répondit Naonori sans se départir de son sourire.
- Mais… mais… un cuisinier va venir ou un traiteur…
- Nous n’en avons pas les moyens. Maintenant… au travail. »
Coincée et comme prise au piège, Sae obtempéra de mauvais cœur.
« Sae-chan… comment feras-tu lorsque je ne serai pas là ?
- Je mangerai à la fac, comme à mon habitude, ou je commanderai au fast-food ou dans le pire des cas, je me déplacerai dans un restaurant… Ma meilleure amie s’appelle Visa ! Fit Sae en mettant le nom de sa carte de crédit entre parenthèses avec deux de ses doigts, abandonnant un cours instant son économe. C’est simple, je ne sors jamais sans elle ! »
Pour la première fois, le visage de Naonori s’assombrit. Il terminait de détailler sa courgette. Il jeta ses légumes coupés dans l’eau frémissante et posa un couvercle par-dessus sa casserole, pour se tourner calmement vers sa femme qui l’observait renfrognée, les épaules crispées, et une lueur de défi dans son regard sombre.
« Écoute Sae… je ne suis pas d’accord avec cela. Tu peux me dire où tu sors cet argent ? Ton père m’a versé une dot, et je l’utilise actuellement.
- J’ai un compte personnel ! Ricana Sae fière d’avoir une certaine indépendance.
- Tu gagnes ta vie ? S’étonna Naonori qui ne se souvenait d’aucune parole dans se sens dans cette famille.
- Non. Répondit Sae sûre d’elle. Mais mon père m’a pourvu d’un compte en banque depuis toute petite et…
- Tu l’utiliserais pour de telles futilités ? S’estomaqua le noble.
- Ce ne sont pas des futilités ! Je ne suis pas pauvre et je ne compte pas vivre comme telle ! »
Naonori examina sa femme, comme s’il la découvrait sous un nouveau jour. Aucune lueur de répréhension dans son regard, seulement de l’étonnement.
« Bien… Visiblement, faire la cuisine te pèse. Tu peux disposer et…
- Disposer ? Reprit Sae interloquée. Mais, je ne suis pas une domestique !
- Tu as l’air de croire que moi, oui. Rétorqua narquois Naonori. Fait ce que tu veux, après tout… Tu as l’air d’avoir toutes les solutions à tes problèmes.
- Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Protesta Sae en se redressant de toute sa taille. Je… je n’ai jamais fait à manger de toute ma vie. J’ai toujours eu des domestiques pour tout et je ne vois pas pourquoi je devrai faire des efforts, tout ça pour quelques vieilles pierres que tu voudrais restaurer ! À chacun ses priorités. »
Naonori n’avait rien répondu, et resta deux secondes encore immobile avant de reprendre la confection du repas. Sae était restée debout à fixer son dos large. Maintenant, il l’ignorait superbement. Que devait-elle faire ? Le secouer comme un prunier ? Où était l’ambiance chaleureuse ? Disparut. L’appartement lui paraissait froid à présent. Elle abandonna son tablier presque à contrecœur, et tourna en rond quelques minutes dans l’appartement.
Devait-elle s’excuser ? Pas question… Pour se venger, ferait-il à manger uniquement pour lui ? Cette question trouva une réponse une demi-heure plus tard, alors qu’il vint la trouver assise devant ses cours, assise devant la table basse du salon. Elle se donnait une attitude d’étudiante, alors qu’elle n’avait rien étudié du tout.
Elle remonta ses lunettes nerveusement et l’observa par-dessus alors qu’il désignait la table de la salle à manger.
« Pourrais-je au moins te demander de mettre la table ?
- Pour deux ? Demanda tout de même Sae.
- Je ne vais pas te laisser mourir de faim. »
La jeune fille devint écarlate devant le regard ironique de son mari. Elle se redressa d’un bond et tourna la tête dans tous les sens, un peu perdu. Voulant se rattraper, écrasé par un sentiment de culpabilité, Sae avait l’impression de faire un peu n’importe quoi.
« Ma vaisselle se trouve dans les placards de la cuisine… »
Le sourire de Naonori était revenu, et inexplicablement cela rassura Sae qui bondit pour montrer un peu de bonne volonté. Cela faisait une demi-heure qu’elle rongeait son frein. Bien qu’elle fasse tout pour ignorer le cliquetis que faisaient les couverts dans la cuisine, ainsi que les raclements de tiroirs, elle avait été incapable de songer à autre chose qu’à leur conversation. Si seulement elle avait été sourde, mais elle serait restée seule avec elle-même et le tableau ne lui convenait pas.
C’est avec un immense soulagement qu’elle trouva tout ce dont elle avait besoin dans les placards. Son nez se plissa en humant, les douces effluves entêtantes qui stagnaient dans la pièce. Curieuse, elle lorgna vers les plats mais les couvercles lui interdisaient de visualiser le repas du midi même. Son estomac protesta et un rire légèrement moqueur se fit entendre.
« À défaut de vouloir cuisiner, il semble que tu saches apprécier la cuisine. »
Sae se tourna dignement et remonta ses lunettes avec son index, les assiettes toujours en mains.
« Ça sent… vraiment bon.
- Il faut surtout que ça plaise à mon invité. Souriait toujours Naonori.
- Invité ? S’étonna Sae. Quelqu’un doit… »
Sa phrase mourut sur ses lèvres, lorsque son mari la désigna du doigt.
« Moi ? Reprit la jeune femme.
- Je ferai mon possible pour que tu ne meures pas de faim.
- Mais…
- Va mettre la table s’il te plaît. Ce serait dommage que mes plats se dessèchent parce que nous perdons du temps à bavarder. Nous aurons tout le temps de discuter dans quelques minutes… »
Sae hocha la tête et se dirigea bien droite sous le regard de son mari vers la salle à manger. C’est avec goût qu’elle disposa la table, et fit quelques allées et venues pour placer les bouteilles d’eau et de vin, la salière, la sauce soja et autres condiments pouvant relever les préparations. Naonori siffla en voyant la plante et les deux bougies réchauffe-plat qui avaient été posé en signe de décoration.
« Je n’en demandais pas tant…
- Naonori-san…
- Naonori tout court…
- Naonori tout court, reprit docilement Sae, ce n’est pas parce que je ne veux rien faire que j’ai refusé de… enfin, j’ai cru voir mon père et…
- Ah… »
L’homme avait posé son plat sur la table et se gratta pensivement son menton, alors que son autre main tenait un torchon blanc et rouge entre les doigts.
« Il va falloir t’y faire Sae-chan. Notre différence d’âge… cela vaut aussi pour moi, rassure-toi. Lui souriait Naonori complaisant. Et si nous faisions des efforts tous les deux ? Toi à me voir comme un homme comme un autre, comme éventuellement ton mari, et moi…
- Comme une femme ! » Déclara Sae sans baisser le regard, alors que son cœur cognait durement dans sa poitrine.
- Cela ne sera pas difficile Sae. »
L’homme se grattait le bout de son nez en disant cela, un sourire frisant aux coins des lèvres. Sae observait Naonori avec curiosité. Brutalement gênée, elle s’installa à table et fut surprise de voir son mari la servir.
« Je pouvais…
- Laisse-moi être galant jusqu’au bout, tu veux bien ? »
Elle observa son assiette principale et les deux autres d’où du riz, des légumes et du poisson grillé étaient disposés. Le repas avait été agréable, toujours sous l’impulsion de Naonori. Lorsqu’il s’était excusé en fin de repas pour préparer sa valise, Sae avait débarrassé les reliefs du repas et avait chargé le lave-vaisselle. Lorsqu’il l’avait rejoint, il avait manifesté sa surprise de voir la cuisine rangée et la salle propre par un haussement de sourcils. Visiblement, il ne s’attendait pas un effort de sa part.
« J’aurais pu le faire Sae-chan…
- Je… Vous aviez fait à manger, je pouvais au moins ranger.
- Merci. » Répondit simplement Naonori
Le voyant se diriger vers le genkan
[i] tout en tirant sa valise. Sae le suivait interrogatrice.
« Vous partez ?
- Je t’avais averti hier… Je suis attendu. Je ne sais pas quand je rentrerai de Tokyo. Mais, de toute façon, tu seras occupée par tes études.
- Je n’ai plus que quelques jours…
- Je le sais. Sourit Naonori. Tu sais ce que tu vas faire ensuite ?
- Normalement, j’ai quelques jours de vacances... Je… devais les passer en famille.
- Hum… je comptais te présenter à ma famille pour la nouvelle année. Mais, j’essaierai de faire en sorte que nous passions aussi voir ta famille. Maintenant mon chauffeur doit m’attendre en bas, fait attention à toi Sae. »
Avant qu’elle ne puisse réagir, Naonori s’était penché et lui avait effleuré la joue d’un baiser qui l’avait figé sur place. C’est avec un sourire ironique que l’homme politique avait quitté les lieux, laissant Sae sous le choc.
Posant une montagne de nouveaux vêtements devant elle, Sae songeait aux paroles de son mari. Gaspiller de l’argent ? Sans hésitation elle tendit sa carte Gold et paya sans une once de remords la facture exorbitante. Quelques minutes plus tard, elle soufflait dans un taxi et elle regrettait de ne pas être entourée de ses amies.
Cette idée la fit réagir. Comment devrait-elle se comporter le lendemain ? Toutes lui poseraient des questions ! Nobumasa lui tournerait autour, quoique Yasunori aussi. Devait-elle annoncer qu’elle était mariée ? Hors de question ! Une de ses mains se crispa sur l’accoudoir. Personne ne devait savoir. Être mariée à un noble et homme politique de surcroît n’allait pas lui faciliter la tâche. Enfin, plus que quelques jours et elle serait en vacances. Comme toutes ses amies retournaient auprès des leurs, elle n’aurait pas d’excuses bidons à donner, enfin elle avait de toute façon avant son mariage un emploi du temps chargé.
Sae fronça les sourcils alors que le taxi s’arrêtait devant chez elle. Cela lui donnait une drôle d’impression, de penser cela… à la réflexion, elle préférait devant chez Ryuzoji Noanori ! Elle ne se sentait pas chez elle dans cet appartement. C’était pour cela qu’elle s’était empressée de sortir et de faire les boutiques. Mais voilà, levant les yeux vers la tour qui abritait son nouveau logis, Sae soupira. Le chauffeur déposa ses sacs à ses pieds, et elle paya la course en liquide sans sourciller. C’est avec détermination qu’elle entra dans le hall, essayant d’ignorer les personnes qu’elle croisait.
Hors de question qu’elle se fasse de quelconque connaissance. Si on apprenait qu’elle était la femme de Ryuzoji, elle imaginait sans peine les rumeurs, et bientôt les journalistes qui viendraient l’assaillir de questions. Son imagination galopante l’envoya vers un probable futur, où elle repoussait des hordes de paparazzi qui la pourchasseraient jusque dans son établissement scolaire… Quel choc pour Naonori qui passerait de femme fatale, à femme enfant… sa virilité serait brutalement rabaissée… quoiqu’il puisse y avoir des pervers qui féliciteraient le noble d’avoir réussi un mariage avec une cadette de vingt ans de moins que lui.
Les amis de Naonori ressemblaient à quoi ? Petits et bedonnants, voir chauves ? Vieux ? Certainement ! À moins qu’ils soient comme lui, coureurs de jupons, distants et imbus d’eux-mêmes. L’examinant avec une attention complaisante… Certes, elle n’avait pas à rougir de ses origines. Mais ne pouvait-on pas la qualifier d’arriviste ?
Sae entendit la voix de son mari qui allait profiter des fêtes pour la présenter à sa famille. Dans l’ascenseur dont les portes s’ouvraient pour lui libérer le passage, Sae imagina des gens identiques à Fuji Tadeki. Elle se ferait manger ! Certes, l’éducation et un certain respect des valeurs lui avaient été inculqué, mais dans une famille noble… surtout comme celle de Ryuzoji.
Abandonnant tous ses sacs dans le couloir, la jeune femme se dirigea vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Tout était soigneusement ordonné et tout était prêt pour composer un repas digne de se nom… enfin, si elle avait su cuisiner. Fermant la porte brusquement, elle alluma son portable et chercha un traiteur non loin de chez elle… avant de se figer. Son anonymat risquait d’être brisé… Son cerveau lui envoya le flash de petites boutiques non loin de chez elle.
Le froid qui l’attendait dehors lui fit plisser le nez. Elle avait enfin retrouvé la chaleur de son chez elle, la voilà obligée de se rendre à l’extérieur, mais elle n’avait pas le choix. Quoique, si elle laissait toute cette nourriture dans le réfrigérateur, tout périrait et le gaspillage… Tant pis ! D’un bond, elle se leva et prit son manteau et son sac avant de manquer de courage. Ce soir, elle n’avait vraiment pas envie de se faire à manger.
Longeant les rues quelques minutes plus tard, elle trouva une petite auberge sans prétention, et s’installa devant le bar pour manger un ramen. L’échoppe était étroite. À peine quelques tables, et un comptoir en bois vernis, et poli par le nombre de clients qui venaient si accouder. Le cuisinier derrière son bar retournait son tofu, pour ensuite l’arroser de sauce soja. Un serveur vint placer son bol devant elle, avec un sourire séducteur. Sans en avoir l’air, elle afficha son alliance comme un talisman. Le pauvre homme se réfugia en arrière cuisine pour reprendre une nouvelle commande.
C’était simple mais Sae se régala, son estomac criait famine. Jetant un coup d’œil autour d’elle, la jeune femme vit des couples de jeunes comme elle se regarder amoureusement, avec une évidente complicité. Les seules personnes attablées derrière le bar, étaient visiblement les laisser pour compte, comme elle.
Le regard de Sae s’attarda sur les affiches qui couvraient les murs blancs, pour ensuite observer les gestes sûrs de l’homme en face d’elle. Impassible ce dernier effectuait ses menus avec dextérité et rapidité. Brutalement intéressée, la jeune femme scruta le cuisinier et s’imaginait reproduire les mêmes gestes. Mais à quoi pensait-elle ? Jamais elle ne cuisinerait ! Puis reprenant son calme, elle se demanda pourquoi elle se braquait ainsi ? Naonori avait été gentil avec elle.
Une brusque migraine lui enserra la tête. Elle quitta l’établissement avec un sourire envers le cuisinier qui avait remarqué son attention particulière, et qui avait ralenti quelques peu ses gestes pour qu’elle puisse voir la manière dont il si prenait.
Sae s’arrêta au combini du coin et s’acheta quelques boîtes à gâteaux. Une envie de sucré la gagna. Son esprit la renvoya à sa famille, et l’attitude de son père durant ce week-end où elle avait l’impression d’avoir prit quinze ans d’un seul coup. Son frère et son attitude protectrice… sa sœur et enfin sa mère soumise. Tout ce qu’elle détestait !
Une heure plus tard, elle rangeait son matériel scolaire et après un rapide coup d’œil à ses nouveaux horaires de trains, elle se coucha sans conviction. Elle avait marché toute l’après-midi, et même le soir même, et son esprit était toujours éveillé. Trop d’interrogations la poursuivaient. Après s’être retourné un nombre incalculable de fois, elle finit par s’endormir d’un sommeil agité cette nuit-là. Mais ce ne fut pas Naonori qui vint troubler ses rêves, mais plutôt son père et sa mère qui l’obligeaient à se marier avec des prétendants les plus improbables les uns que les autres, tous avaient pour point commun, un âge avancé.
Au petit jour, c’était un visage défait et des yeux cernés qui l’attendaient devant la glace de sa salle de bain. Et dire qu’elle devrait affronter le monde entier ! Enfin, presque… En passant devant le téléphone, Sae s’aperçut que le répondeur du téléphone clignotait la prévenant d’un appel. La voix de Naonori raisonna dans la pièce vide, lui donnant une chaleur fugace.
« Sae-chan… j’espère que tu ne t’ennuies pas trop. Pense à bien fermer les portes ce soir. Et si tu as besoin de quoique ce soit, téléphone moi sur mon portable. J’ai essayé de te joindre sur le tien tout à l’heure, mais tu as dû le fermer. J’espère pouvoir rentrer rapidement à la maison en fin de semaine. Prends bien soin de toi. »
°°0o0°°
Traversant les couloirs d’un pas décidé, et remontant ses lunettes d’un mouvement nerveux, Sae tentait d’échapper à Nobumasa. Ce dernier avait été scotché par son nouveau look, et il n’était pas le seul. Ses amies lui avaient montré son admiration, tout aussi bien pour sa coupe, que ses nouveaux vêtements, et du coup, l’objet de son départ précipité était passé à la trappe… Et puis, de nouveaux regards admirateurs s’attardaient sur elle. Mais qu’avaient donc tous ses types ?
Brutalement Nobumasa se matérialisa devant elle.
« Sae… si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirai que tu cherches à me fuir !
- Ne raconte pas n’importe quoi ! Répliqua sèchement la jeune femme.
- Vraiment ? » Ironisa l’étudiant en la détaillant de pied en cap d’un regard appréciateur.
Jamais Sae n’avait eu affaire à ce genre de manifestation auparavant. Elle remonta d’un geste nerveux une nouvelle fois ses lunettes et respira calmement pour ne pas paraitre troublé par le comportement du jeune homme.
« Sae… J’ai besoin de te voir…
- Ce n’est pas ce que tu fais actuellement ?
- Non, je veux dire de te parler.
Sae arqua ses sourcils de manière ironique. Nobumasa précisa.
« Sérieusement. »
Un signal d’alarme s’alluma dans la tête. Au moment où elle déglutissait difficilement, Sae entendit comme dans un cauchemar.
« Sae, je ne passerai pas comme au lycée par un papier… Voilà, je te trouvais jolie avant… et encore plus aujourd’hui. Ta transformation te rend vraiment très femme. J’aimerais que nous sortions ensemble… Accepterais-tu de te joindre à moi pour une sortie ciné et… »
Le reste paraissait flou. Sae vit Kioko derrière le jeune homme et le regard meurtrier que cette dernière lui adressa lui fit l’effet d’une flèche dans le cœur. Pourquoi sa vie devait-elle prendre un tel chemin ? La jeune femme blêmit lorsqu’elle s’aperçut que Nobumasa prit son silence pour un consentement.
« Donc, c’est d’accord pour demain soir ? Super ! »
Mais pourquoi cela devait-il lui arriver à la fin ? Avait-elle hoché du chef sans s’en rendre compte ? En les tous cas, le sourire éclatant que lui adressa Nobumasa ne lui disait rien qui vaille, et le départ précipité de Kioko la crispa un peu plus. Elle devait faire quelque chose et vite.
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