Image I Love You


La matinée était bien avancée. Une fine neige tombait surprenant les habitants d’Osaka peut habituer à en voir. Dans la salle de cours, seule la voix du professeur d’économie se faisait entendre, la plupart des élèves avaient la tête plongée dans leurs cahiers, prenant des notes avec fièvres. Hōjō-san n’était pas du genre à les laisser bayer aux corneilles et il semblait particulièrement en forme.
 
En fait, ce type fonctionnait à l’envers songea Sae en grimaçant. Son poignet la faisant atrocement souffrir. De bonne humeur les jours de pluie, et maussade lorsque le soleil cognait à la fenêtre… qu’il prenait d’ailleurs grand soin d’obstruer. C’était un vampire ou quoi ? Maugréa-t-elle intérieurement.
 
Son esprit retourna vers Kyoko qui avait refusé de lui parler depuis que cette dernière était persuadée qu’elle sortait avec Nobumasa. Alors qu’Hōjō terminait sa diatribe pompeuse, Tai se pencha vers elle et glissa un petit billet dans sa direction. Ce moyen ringard était le seul moyen de communiquer dans ce cours. Leur prof avait l’oreille la plus fine qui puisse exister sur terre et les portables ou paroles chuchotées étaient totalement exclus.
 
Sae lue « Kyoko te fait la gueule ? Tu lui as fait quoi ? »
 
La dernière question alluma une lueur meurtrière dans le regard de Sae qui envoya un regard enflammé à son amie de toujours. Du bout du doigt la jeune femme attrapa le bout de papier et répondit
 
« Je n’ai rien fait ! C’est cet imbécile de Nobumasa qui croit que nous sortons ensemble !!! »
 
Tai en lisant la réponse haussa un sourcil surpris. Son expression lui demandait très clairement « Tu sors avec lui ? » L’expression meurtrière de Sae lui indiquait qu’il n’en était rien. Elle ne put s’empêcher de ricaner. Immédiatement, la voix calme de Hōjō se fit entendre.
 
« Pourrions-nous connaître les raisons de votre joie ? L’esprit de la démarche mercatique est-il donc un sujet si amusant pour vous ? Ce serait une première que vous vous intéressiez à mon cours Momoro-chan…
  • Non, non… je n’ai pas changé, rassurez-vous. Disons que j’appréciais la manière dont mon poignet venait de craquer. Je crois que vos cours sont tellement intenses que j’irai bien à l’infirmerie pour faire vérifier son état… Imaginez qu’il se soit foulé sous la passion manifeste de votre discours. Ricana Tai.
  • Votre intelligence ne risque pas un tel problème… Répondit stoïquement Hōjō en la scrutant de son regard clair.    
  • Ce n’est pas gentil…
  • Soyez plus sérieuse ! Reprenons…
  • Sans pitié ce type…
  • Je vous ai entendu ! Répondit le professeur d’économie. »
 
Tai haussa les épaules et soutint le regard sable dans lequel une lueur amusée brillait. Le cours continua sur un train d’enfer, et les élèves poussèrent un soupir de soulagement lorsque la cloche retentit dans le couloir.
 
« Il va finir par nous tuer ! » Lança Tai revancharde. « Son cours est le plus ennuyeux de la Terre, mais lui, il croit fermement que le monde tourne autour de sa matière…
  • Euh… quand même. » Répondit Sae en songeant aux responsabilités de son frère.
  • Bon, on ne peut pas discuter sérieusement avec toi. Reprit Tai qui passait la bandoulière de son sac sur l’épaule. Donc, pourquoi cet imbécile de Nobumasa croit que vous sortez ensemble ?
  • Figure-toi que je me pose la question depuis hier ! Marmonna Sae.
  • Et Kyoko ne veut plus te parler ? Je comprends mieux… »
 
Les deux jeunes femmes passèrent devant Hōjō-san qui les observait toujours amuser. Tai l’ignora superbement, tandis que Sae l’examina rapidement avant de reporter son attention sur son amie.
 
« Ce n’est pas drôle !
  • Quoi ? Demanda Ruri en les rejoignant tout en consultant son portable.
  • Nobumasa se fait des films à propos de Sae et Kyoko lui fait la gueule pour ça.
  • Ah… je comprends mieux pourquoi elle a refusé de venir se joindre à moi hier soir… J’avais dit que je t’attendais au self… au départ elle était d’accord.
  • Franchement… Qu’est-ce que tu as répondu à Nobumasa ? Tu n’as pas été claire ?
  • Je crois surtout qu’il veut tellement sortir avec Sae qu’il a négligé sa réponse. Répondit Nana en enlaçant les épaules de Sae d’un geste affectueux. C’est dur d’être un fantasme. Sourit taquine la jeune femme plutôt discrète.
  • Oh arrêtez ! Je n’ai même pas hoché la tête ou dis quoique ce soit. Il ne m’a même pas laissé le temps de répondre, en fait… Et j’ai essayé de lui parler mais, il ne m’écoute pas !
  • Envoie un SMS ! Répondit Misa en repassant son crayon à lèvres sur leurs contours. Il ne pourra pas dire qu’il n’a pas été averti.
  • C’est vrai… Répondit Tai en franchissant le seuil de la cafétéria. Envoie-lui un message.
  • Ah moins qu’il ne me fasse le coup de la panne. Marmonna Sae.
  • Ne soit pas défaitiste et puis, au moins tu auras fait un geste et non pas resté comme une cruche stupide. Rétorqua Kyoko qui s’était glissée derrière elles.
  • Kyoko ! S’exclama Sae ravi de revoir son amie.
  • C’est vrai quoi… si tu ne veux pas de lui, utilise tous les moyens pour lui faire savoir…
  • Et te laisser le champ libre. Ricana Tai.
  • N’oublie pas que nous sommes plusieurs sur les rangs ma chérie. Si tu me fais la gueule parce qu’il me choisit, je ne suis pas sûre de vouloir te garder comme amie. Répondit Misa. Sae est trop conne !
  • Misa ! S’exclama Sae choquée.
  • Quoi ? Elle te fait la gueule pour une histoire de cul qui n’existe pas ! Répondit Misa en faisant la grimace. Allez écrit ton SMS qu’on passe à autre chose… »
 
Installé à une table, et rejoint par Iga plongé dans ses notes pour le prochain cours, Sae écrivit un SMS sans équivoque. Le grand réfectoire raisonnait de conversations et de rires. Toutes firent tourner le portable sur lequel le cœur de Nobumasa avait dû se fendre avec fracas.
 
« Moi, s’il vient pleurer… je le consolerai ! Déclara Misa en lissant une mèche de ses cheveux.
  • Je ne te laisserai pas le champ libre… Répliqua agressivement Kyoko.
  • Je ne vois vraiment pas ce que vous lui trouvez. Répondit Sae en terminant son flanc coco.
  • Moi non plus. Bon, il est quand même pas mal…
  • Quoi ? S’exclamèrent toutes les filles de la tablée.
  • Il est trop beau, en plus… il est musclé et il est super balaise en sport. » Sourit Ruri.
 
Sae écoutait, mais était incapable de donner son avis. L’image de Naonori flottait devant ses yeux. Nobumasa ressemblait à une crevette à côté de lui, voire même féminin avec sa coupe de cheveux et ses manières. Même si son mari portait les cheveux longs et qu’il portait un catogan… cela lui donnait un style qui correspondait à ses attitudes. Même s’il était noble, il n’avait rien de précieux en lui…
 
Secouant brutalement la tête pour revenir sur Terre et participer à la conversation, Sae se retrouva coincée avec une question piège.
 
« Mon type d’homme ?
  • Oui ! Rétorquait Tai en la fixant gentiment. Apparemment Nobumasa malgré son allure et ses manières stylées ne te conviennent pas. Quel genre de type te fait craquer ?
  • Euh… grand. Répondit Sae sur le vif.
  • Y’en a beaucoup des types grands… mais après ? Nous sort pas, intelligent. Pas de réponses bateau.
  • Ou plein de frics ! Sourit Misa.
  • Alors ? » Insista Tai.
 
Sae observait ses amies et voyant qu’elle n’aurait pas la paix, déclara en toussotant.
 
« Plus vieux que moi » Répondit calmement Sae pour voir la réaction de ses amies.
 
Ce qui ne se fit pas attendre. Sans avoir besoin de plus de détail, la conversation roula tambour battant avec Tai en première ligne.
 
« Plus vieux ? Ouaih… Pourquoi pas ! C’est vrai qu’il est bien installé dans la vie, et généralement ils ont de la tune.
  • Beurk ! S’exclama Kyoko. Ça me dégoutterait qu’un vieux type pervers me pose les doigts dessus…
  • J’imagine sa peau ridée… Approuva Nana en affectant une mine écœurée.
  • Moi aussi ça me plairait bien un homme plus âgé. Remarqua Iga. Les hommes de notre âge ne savent pas toujours ce qu’ils veulent et puis, ils ont du charme. Ils sont plus calmes aussi…
  • Je t’imagine bien poussé son fauteuil. Marmonna Kyoko.
  • Imagine lui essuyer la bave du menton. Frissonna de dégoût Ruri
  • Ne raconte pas n’importe quoi ! Répliqua Iga. Je ne te parle pas d’un homme qui a soixante ans… dans les trente, trente-cinq ans maxi.
  • Waouh… carrément quinze ans ! S’émerveilla Misa.
  • Le maximum que tu prendrais toi, Sae ? Bien sûr, je veux dire… coucher avec lui aussi. Pas que pour les conversations de salon Iga.
  • Personnellement, dans la trentaine. Répliqua Ruri à la place de Sae.
  • Je dirai dans les vingt-cinq, vingt-sept ans maxi. Marmonna Misa en réfléchissant sérieusement à la question.
  • De mon âge ou un an plus vieux, pas plus. Répliqua Kyoko toujours les idées fixées sur Nobumasa.
  • Pareil pour moi. » Répliqua Nana
 
Sae écoutait la conversation un peu en retrait. Que devait-elle faire ? Son cœur battait à tout rompre, mais c’était au moins l’occasion de se sortir une épine du pied. Si elle avouait qu’elle était attirée par des hommes plus âgés, il était certain qu’on la laisserait tranquille ensuite. Pourquoi pas après tout. Elle avait beau tourner la question dans tous les sens, elle savait qu’elle serait incapable de tromper son mari, même si elle ne l’aimait pas. Non pas parce qu’elle lui avait promis, mais parce qu’il s’agissait d’une question d’honneur.
 
Et puis, Naonori lui avait juré fidélité. Oui, la relation qu’elle entretenait avec Naonori, même si elle n’était qu’amicale, était confortable. Il était courtois et gentil. Et puis, si tout cela se savait un jour, personne ne s’étonnerait de la voir à son bras. Enfin ses amies à elle, car en ce qui concerne les femmes pulpeuses qui accompagnaient jusqu’ici Naonori, pas sûr qu’elles laisseraient une gamine dans son genre lui tourner autour.
 
« Je pourrai aller jusque quarante ans. » Déclara Sae lorsque la conversation retomba un peu.
 
Toutes ses amies se tournèrent stupéfaites vers la jeune femme.
 
« Quarante ans ! S’exclama Kyoko les yeux formant deux parfaites soucoupes.
  • C’est le troisième âge ! Approuva Tai. Je veux bien qu’on s’amourache d’un vieux, mais on n’a jamais parlé d’une maison de retraite !
  • Au moins, on est sûr que Nobumasa n’a aucune chance. Souffla Nana.
  • Ma pauvre Sae… commença Kyoko. Je ne te connaissais pas de tel penchant… ça ne s’appelle pas de la « macabéphilie » ?
  • N’importe quoi ! Rétorqua Iga, pour se tourner ensuite vers Sae pleine d’admiration. Je trouve ça admirable… La félicita chaleureusement Iga. Tu as un grand cœur. »
 
Sae se frappa le front et attrapa son plateau. Ses amies racontaient vraiment n’importe quoi. L’image d’un cadavre avait flotté quelques instants plus tard devant les yeux de la jeune femme qui eut envie de vomir. La voix de Tai commentait toujours derrière elle.
 
« Imagine Sae, ça fait le double de ton âge, autrement dit le double d’expérience…
  • On ne dit pas que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ? Interrogea Kyoko toujours sous le choc, mais essayant tout de même de défendre sa meilleure amie.
  • Toi, tu essayes juste de faire oublier ton comportement égoïste auprès de Sae. Ricana Misa. C’est vrai que ça peu choquer, mais je suis de l’avis de Sae… pourquoi pas ? Après tout, si le type en question est vraiment amoureux, qu’il a de la tune et que tu peux t’éclater autant que tu le veux… c’est tout bénef. Fait-lui cracher son fric à ton vioc !
  • Mais de quoi vous me parlez ? » Demanda le plus sereinement du monde Sae, bien loin de ressentir intérieurement cette sérénité qu’elle affichait.
 
Son regard balaya le visage de ses amies qui l’observait étonner.
 
« Ben, de ton mec !
  • J’ai jamais dit que j’en avais un… vous me demandiez quel était mon genre de mec. Je vous ai répondu.
  • Ouaih… mais y’a quelques semaines de ça, tu craquais sur de beaux mâles qui venaient tout juste de sortir de leurs périodes pré-pubères et débiles… Tu me diras… débiles, les mecs le restent souvent très longtemps… Fit Tai en réfléchissant un quart de seconde, mais repris vite le sujet qui lui tenait à cœur. Et puis, aujourd’hui tu nous annonces que tu craques pour des types de quarante ? Allez, ne la joue pas comme ça avec nous… C’est qui ?
  • Crache le morceau Sae, sinon Tai va te pourrir la vie jusqu’à ce que la mort vienne te débusquer prématurément.
  • Tu veux dire que je suis prête à utiliser la torture ? S’étonna Tai outrée.
  • Moi, ça ne m’étonnerait pas. Souffla Iga à l’oreille de Sae.
  • Je t’ai entendu ! Rétorqua Tai en la foudroyant du regard.
  • Ne te prends pas pour Hōjō-sensei. Ricana Misa. Tiens, en parlant de ça, son mec est franchement viril à lui.
  • Son mec ? S’étonna le groupe et en chœur.
  • Vous ne saviez pas que Hōjō-sensei était gay ?
  • Depuis quand ? Interrogea Tai excitée.
  • Oh… calmes-toi, c’n’est pas un yaoi, Tai. On sait que t’aime ça, mais cache ta bave, ça fait désordre.
  • Il est beau ? » Demanda Iga intéressée en remontant ses lunettes, ayant l’air moins sage d’un coup.
 
Sae souffla discrètement. Misa avait réussi à captiver l’attention de toute la troupe, et elle eut un sourire lorsque son amie, lui envoya un discret clin d’œil. Cette diversion n’avait pas été faite par hasard. La plupart des filles présentent adoraient le boy’s love, et devenaient hystériques à l’idée de rencontrer des couples gay. Elle serait tranquille pour le reste de l’après-midi. Et à sa grande surprise, elle ne pu s’empêcher de remarquer qu’elle-même écoutait avec un grand intérêt les déclarations de Misa.
 
L’après-midi se passa très rapidement et c’est toujours en groupe, que le groupe de filles regagnait le dortoir. Sauf que Nobumasa se tenait en plein milieu de l’allée et son regard sombre restait figé sur Sae. Toutes s’arrêtèrent comme un seul homme, attendant la suite des événements. Nobumasa s’approcha et demanda poliment.
 
« Les filles, vous voulez bien nous laisser seuls un instant, je ne serai pas long. »
 
Sans dire un mot, le groupe s’éloigna et Sae frissonna sous son gros manteau. Elle détestait ce genre de moment, d’autant qu’elle n’avait rien fait pour en arriver là.
 
« C’est vrai que tu sors avec un type de quarante ans ? » Attaqua d’emblée Nobumasa.
 
Sae ouvrit de grands yeux. Qui avait pu lui fournir ce type d’information. Elle ne l’avait même pas confirmé aux filles… Son regard glissa vers ses amies qui attendaient plus loin dans le froid. Un léger nuage blanc flottait au-dessus de leurs conversations. Sae rencontra le regard aigu de Kyoko. C’était elle, la jeune femme en était sûre. Elle avait été vite en besogne.
 
« Réponds au lieu de rester là, sans rien dire ! S’énerva Nobumasa.
  • Mon mari a exactement trente-neuf ans. »
 
Sae s’était approchée de Nobumasa au point que son corps effleurait le sien. Sa voix n’était qu’un chuchotement. Son regard brûlait et la lueur de défi le fit déglutir péniblement. Visiblement, elle n’avait pas l’intention de baisser son regard. Et puis, c’était quoi « son mari ». Kyoko ne lui avait pas parlé de cela.
 
« Écoute-moi bien, Nobumasa. Parce que tu as tendance à prendre tes désirs pour une réalité. Tu le prends comme tu veux… Mais, je suis mariée. Je ne te dirai pas à qui, cela ne te concerne en rien.
  • Mais…
  • Je te le dis, car si je ne mets pas devant la réalité, tu continueras à vouloir t’immiscer dans ma vie. Tourne-toi plutôt vers Kyoko, elle en meurt d’envie.
  • Elle ne m’intéresse pas. C’est juste une amie.
  • C’est ce que tu es pour moi.
  • Mais comment peux-tu apprécier un homme de quarante ans ? Attends…commença soudainement Nobumasa comme si une idée subite lui traversait l’esprit. La semaine dernière lorsque tu nous as quittés précipitamment, c’était pour ton mariage ? Tss… c’est dur d’être la fille d’un homme riche. Ricana le jeune homme narquois.
  • C’est sûr que ça doit bien t’arranger de ne pas avoir de cerveau…
  • Tss… quand tu en auras marre de changer ses couches, tu viendras me voir. Je vais te montrer ce qu’est un homme… » Se moqua le jeune homme d’un air suffisant.
 
Sae se sentait blessée devant toutes les remarques désobligeantes qu’elle entendait depuis que toutes avaient conclu que son amoureux avait quarante ans. Son amour propre en prenait un coup. Et puis, le visage souriant de Naonori flottait toujours devant ses yeux. Jamais, il ne s’était montré désobligeant avec elle, alors qu’elle, elle ne s’était pas gênée pour être odieuse.
 
Naonori ne méritait pas ça. Toutefois, elle ne voulait pas nommer le nom de Ryuzoji. Enfin pas tout de suite. Elle voulait au moins, pouvoir s’habituer à sa nouvelle vie… et puis, si Naonori la rejetait, alors qu’elle s’enflammait et qu’elle n’était pas amoureuse de lui. Cela devenait très compliqué. Empêtré dans ses idées confuses, Sae ne s’aperçut pas qu’elle avait contourné Nobumasa pour regagner sa chambre. Ses amies ne dirent pas un mot devant son attitude renfrognée et préoccupée.
 
En fait, Sae aurait aimé que Naonori soit là. Les bavardages de ses amies sur les manières de Nobumasa l’agacèrent. Se reprenant, elle participa à la conversation pour ensuite s’enfermer et faire ses devoirs. Kyoko vint la rejoindre une demi-heure plus tard.
 
« Je te dérange ? » Demanda-t-elle timidement.
 
Sae remonta sa paire de lunettes, et observa froidement son amie. Malgré la colère qu’elle sentait sous-jacente, Kyoko s’approcha du bureau de Sae et affronta son regard.
 
« Nobumasa m’a dit pour…
  • Je ne comprends pas ses hésitations à ton sujet… Commença Sae. Vous êtes fait pour vous entendre.
  • Pardon ? » Fit Kyoko en s’arrêtant net.
 
Ses mains s’étaient jointes au niveau du cœur, et son regard se fit plus sombre.
 
« Il m’a dit que c’était toi qui l’avais informé pour « mon amant de quarante ans ». Et je suppose qu’il vient de t’informer qu’en fait, il s’agissait de mon mari ?
  • Euh… je n’y crois pas trop. Rétorqua calmement Kyoko.
  • Et pourquoi ? S’étonna la jeune femme.
  • Si tu étais mariée, tu serais rentrée chez toi à l’heure actuelle. Mais, tu es ici et tu fais tes devoirs… Ton mari n’apprécierait pas de te savoir ici, à l’intérieur d’un dortoir. Tu dois…
  • Être une parfaite épouse ? Interrogea Sae moqueuse.
  • Oui ! Répondit sèchement Kyoko.
  • Alors je suis heureuse de t’apprendre que malgré son âge « canonique » mon mari me laisse poursuivre mes études, et il estime que se serait plus facile pour moi de rester ici faire mon étude plutôt que de rentrer… de toute façon, il n’est pas là non plus.
  • Qu’est-ce que…
  • Kyoko. Je n’ai pas apprécié que tu ailles voir Nobumasa pour raconter ma vie, surtout pour te valoriser à ses yeux. Ma pauvre fille…
  • Pauvre fille ! Hurla brutalement Kyoko. C’est plutôt toi ! Obligée de te marier à un type que tu ne connais pas et que tu n’aimes pas… je préfère ma situation à la tienne… au moins, j’ai la chance de choisir un homme que j’aimerais, alors que toi… tu es obligée de dire que tu aimes un type qui te fait horreur.
  • Tu as l’air de savoir de quoi tu parles. Répondit calmement Sae se surprenant elle-même. Mais, en même temps tu te contredis. Tu dis que je ne suis pas mariée pour ensuite dire le contraire. Finalement, tu n’en sais rien.
  • Ne prends pas tes airs de sainte ni touche. Tu es un être humain comme les autres, et… »
 
Le portable de Sae raisonna dans la pièce, surprenant les deux femmes. Surprise de recevoir un coup de fil, Sae attrapa son téléphone et répondit la voix enrouée par la conversation pénible qu’elle entretenait avec Kyoko depuis quelques minutes.
 
« Salut petite sœur… tu vas bien ?
  • Yukichi ! S’exclama ravie Sae.
  • Ah, je suis content de voir que tu ailles bien. J’étais inquiet, mais je n’ai pas voulu téléphoner avant.
  • Tout va bien… rassure-toi.
  • Ryuzoji-sama est gentil avec toi ?
  • Très… il est adorable. Rétorqua avec un sourire Sae en observant Kyoko du coin de l’œil.
  • Par tous les dieux, préservez-moi de ce genre de remarque par ma femme. »
 
Sae éclata de rire, et elle vit du coin de l’œil son amie disparaître de sa chambre. Inconsciemment, Sae se détendit et elle sauta sur son lit pour mieux profiter de l’échange.
 
« Cela m’étonnerai… ne joue pas les gros durs !
  • Jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse qualifier Naonori Ryuzoji d’adorable. Enfin, vu sa carrure et son air, j’aurais pensé à un ours.
  • Détrompe-toi. Naonori est vraiment charmant…
  • Naonori ? Souriait son frère au téléphone. Vous en êtes déjà là ?
  • Il veut que je l’appelle par son prénom uniquement.
  • Oh… je n’aurais pas cru cela. Papa c’est vraiment bien choisir les personnes qui conviennent le mieux à ses enfants finalement.
  • Qui sait… » Répondit Sae rêveuse.
  • Tu n’es pas chez toi ?
  • Non… je suis dans ma chambre dans la cité U.
  • Il ne doit pas être à Osaka…
  • Non, je crois qu’il ne rentre pas avant fin de semaine. C’est ce qu’il m’a dit, et je ne sais même pas s’il est sûr de pouvoir rentrer.
  • Tu ne t’ennuies pas trop ?
  • Non… j’ai terminé mes examens, et j’aimerais sincèrement que ce soit le dernier jour de cours. Dit… j’aimerai avoir ton avis Yukichi.
  • À propos ?
  • J’ai avoué à mes amis que j’étais mariée…
  • Elles savent avec qui ?
  • Non. Je voudrais le cacher le plus longtemps possible… En fait, jusqu’à la fin de ma scolarité.
  • Le dernier trimestre sera pénible. Actuellement vu la situation du Japon, ton mari va certainement devoir assurer auprès de réceptions et autres colloques…
  • Je ne suis pas obligée d’être présente…
  • Tu voulais savoir quoi ?
  • Je l’ai fait parce que y’a un type qui me collait et… je voulais que les choses soient claires.
  • Pourtant tu t’interroges ?
  • Je ne regrette pas de l’avoir fait. Je suis du genre de toute façon incapable de mentir, et encore moins dissimuler mes sentiments. Et puis, l’intervention de Nobumasa a précipité les choses… Si cet idiot n’avait pas pris mon silence ahurit pour un assentiment… Marmonna Sae mécontente.
  • Tu es seule ce week-end ? Demanda Yukichi.
  • Je n’en sais rien… je te l’ai dit tout à l’heure, Naonori ne connaît pas encore son emploi du temps.
  • Écoute, si jamais il ne devait pas revenir, passe le week-end à la maison. Tu me ferais plaisir.
  • Ok… Je vais te laisser grand frère. J’ai encore un exposé à finir. Je te rappelle pour te tenir au courant. »
 
Une fois raccrochée, Sae se leva et se dirigea vers la porte de sa chambre qu’elle ferma à clef. Plus d’interruptions impromptues. Enfermée, Sae termina laborieusement le reste de son devoir. Son esprit volait constamment de Naonori, à son frère pour s’égarer vers Kyoko et enfin Nobumasa… mais à peine, s’était-elle débarrassée de ce parasitage, que de nouveau son esprit voguait vers son mari.
 
Kyoko avait raison, si elle avait été une bonne épouse, elle serait retournée chez elle… Même s’il n’était pas là, c’était à présent à elle de faire vivre cette maison qui était devenue la sienne… en principe ! Ses idées rétrogrades de la femme, l’exaspéraient. Naonori lui ne s’embarrassait pas de tels soucis. Tokyo… il devait certainement avoir des domestiques ou… Sae se raidit sur sa chaise. À moins que cela ne fusse une de ses anciennes maîtresses qui ne le fasse ?

Son regard tomba sur son téléphone portable et elle observa longuement l’objet posé sur un coin de son bureau. Que faisait donc Naonori ? Et pourquoi ce type revenait sans cesse dans sa tête. Ce fut très tard et épuisée qu’elle tomba sur son lit, ou s’affala… de toute façon, elle ressemblait à une pieuvre échouée sur un banc de sable. Son esprit torturé ne cessait de s’échapper dans la direction de Tokyo et elle maudit ce type trop gentil qui avait su la charmer malgré elle, Sae se l’avoua enfin à elle-même.
 
°°0o0°°
 
Le train bondé ralenti lentement sur le quai. Une foule compacte s’en extirpa, comme si les portes vomissaient un torrent humain. Sae s’écarta de la foule et se réajusta. Elle agrippa son petit sac de voyage et après que le plus gros du flot se fut écoulé, elle gagna tranquillement la porte de sortie. Bientôt mélangée à une nouvelle marée humaine, Sae remonta les rues pour rentrer dans sa nouvelle demeure. Enfin les cours étaient finis, et enfin ses amies la laissaient tranquille.
 
Quoique Kyoko lui battait froid. Même si cela lui faisait mal au cœur, son comportement égoïste l’avait mise hors d’elle. Comment aurait-elle réagi à sa place ? Sae remonta son manteau et trouva la gare trop éloignée de son domicile. Elle prendrait le métro la prochaine fois.
 
Devant la porte principale de son bâtiment, Sae vit un homme en costume noir, très propre sur lui. Bien qu’il lui paraisse louche, elle bondit en avant, avant qu’il ne ferme la porte.
 
« Attendez ! »
 
L’homme d’âge moyen, se tourna vers elle et haussa les sourcils interrogateurs.
 
« Merci de tenir la porte, cela m’évitera de poser mes bagages sur le sol.
  • Vous résidez dans cet immeuble ?
  • Oui… s’il vous plaît, tenez cette porte. Le sol est détrempé. »
 
L’homme observa le trottoir qui avait été arrosé d’une pluie abondante pratiquement toute la journée. Haussant les épaules, il s’effaça et laissa Sae entrer. La jeune femme était sûre d’avoir passé un scanner avant qu’il ne décide à s’effacer. Apparemment, elle n’avait rien d’une quelconque meurtrière. Ensemble, ils montèrent dans l’ascenseur.
 
« Vous montez à quel étage ? Demanda l’homme courtoisement, mais avec un ton sibérien.
  • Au seizième… »
 
De nouveau, Sae eut l’impression de passer un nouveau scanner. Décidément, cet homme ne cessait de la scruter.
 
L’inconnu n’appuya que sur un seul bouton, et en voyant l’air surpris de la jeune femme, il se justifia mal à l’aise.
 
« Nous descendons sur le même palier ».
 
Lorsque les portes s’ouvrirent, ils sortirent en même temps et restèrent coincés quelques secondes, ayant bougé dans un même mouvement. La sortie trop étroite les avait prit au piège. L’homme s’effaça courtoisement pour laisser le passage à Sae. Cette dernière lui adressa un regard reconnaissant. À sa surprise toujours, elle s’aperçut que l’homme la suivait. Peut-être utilisait-il un appartement sur la même aile que la sienne ?
 
L’individu la dépassa, comme s’il devait mettre un point d’honneur à arriver en premier devant son appartement. Sae faillit lui adresser une grimace dans son dos, puis se jugea puérile. Lorsqu’il s’arrêta devant les portes de son appartement, la jeune femme fronça les sourcils.
 
Elle observa comme au ralenti les gestes de cet inconnu et le vit sortir des clefs. Elle blêmit ! Un voleur…Non, il n’aurait pas les clefs. Mais devait-elle rester sans réagir ? Laisser cet individu pénétrer chez elle, alors qu’elle se tenait juste derrière lui ? Que devait-elle faire ?
 
Pourtant, dans son beau costume qui devait valoir une fortune, il paraissait bien sous tout rapport ce type. Quoique sa tête ne lui revînt pas, et ses yeux de fouines. La clef pénétrait la serrure à présent, et Sae sortit son portable. Sans hésiter, elle chercha le numéro de son mari et lorsque sa voix joyeuse retentit, elle lui coupa la parole.
 
« Sae-chan quel…
  • Naonori-san, connaissez-vous un type louche avec une tête de fouine, qui a les clefs de notre appartement ? »
 
Ladite fouine, se tourna et lui adressa un regard stupéfait. Sae le foudroyait du regard et posait ses bagages, prête à en découdre. Après tout, elle saurait quoi faire si elle se faisait agresser !
 
 
 
 
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