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Après un court silence, un formidable éclat de rire retentit dans le combiné. Sae détacha le portable de son oreille en sursautant, et déclara furieuse.
 
« Ryuzoji-sama… je vous interdis de vous moquer de moi… surtout que ce type me regarde bizarrement !
  • Naonori tout court, ma petite Sae-chan … » souriait l’homme.
 
Le pire c’est que Sae l’imaginait très bien dans son attitude nonchalante. Elle grommela mécontente.
 
« Naonori tout court, vous ne m’êtes d’aucune utilité. Je vais me charger moi-même de ce voleur !
  • Non, Sae Chan… Interpella l’homme politique inquiet brutalement. Il s’agit de mon secrétaire  Hirano Shiki. Je lui ai demandé de faire les courses et de préparer l’appartement. Je ne pensais pas que tu rentrerais aussi tôt de l’université.
  • Ah… je… »
 
Sae devint écarlate en songeant à « la tête de fouine » dont elle l’avait pourvue. Elle jeta un coup d’œil discret vers l’homme, sans vraiment le regarder en face à présent.
 
« S’il te plaît, peux-tu lui donner ton téléphone quelques secondes. Je voudrais lui parler…
  • Euh… oui, oui… »
 
Sae osa enfin dévisager son interlocuteur qui lui adressa un regard de glace. Voyant l’air interrogateur de l’homme lorsqu’elle lui tendit le téléphone, elle répondit mal à l’aise.
 
« Ryuzoji-sama voudrait vous parler. »
 
L’homme prit le cellulaire sèchement, et écouta les ordres de son patron. Ses oui réguliers ne laissaenit rien entrevoir de leur conversation. Sae ouvrit la porte et sans attendre la fin de leur discussion entra chez elle avec ses sacs. Elle se sentait fatiguée soudainement. Cette semaine horrible finissait de manière plus atroce qu’elle ne l’avait songé.
 
Jetant son manteau sur une chaise de la salle, elle se dirigea ensuite vers la cuisine en abandonnant tout le reste dans le couloir. Un petit remontant lui ferait du bien ; après, elle aviserait. La porte de l’appartement se ferma et comme par enchantement, Shiki Hirano se matérialisa devant elle une minute plus tard.
 
« Ryuzoji-sama veut vous parler. »
 
Sae prit le téléphone, ou plutôt lui arracha des mains. Oubliant toute tenue, elle s’affala sur une chaise et écouta la voix amusée de son mari, toujours contrariée de sa méprise.
 
« J’ai donné mes consignes à Hisano-san. Il va s’occuper de te faire à manger ce soir. Je rentre demain soit au matin ou dans l’après-midi.
  • Vous savez, je n’ai plus cours et je pouvais rentrer pour m’occuper de la maison… Remarqua Sae un peu froidement.
  • Je suis heureux de constater que tu considères déjà cet appartement comme le tien. »
 
Sae rougit violemment et se tortilla sur sa chaise. Elle s’aperçut que Hisano-san avait fait tomber sa veste et avait enfilé un tablier à la place. Le sien ! Son regard se fit meurtrier. De quel droit prenait-il ses affaires ? Et sans demander la permission en plus !
 
« Sae-chan… Hisano-san partira ensuite. Tu pourras t’occuper de toi jusqu’à ce que je revienne ?
  • J’ai survécu vingt et un ans… je crois qu’une matinée de plus, c’est plus que probable. Ironisa Sae.
  • Je me pensais indispensable. Rit Naonori sans se démonter.
  • N’allez pas vous imaginer n’importe quoi ! S’écria brutalement Sae sous le rire de Ryuzoji visiblement amusé par la situation. Naonori tout court… exagéra Sae, cachant sa soudaine timidité à l’idée de le revoir le lendemain. Je… je veux bien faire des efforts pour faire à manger. Je suis désolée pour la dernière fois. Vous voudriez bien tenter de m’expliquer une nouvelle fois ?
  • Oh… se sera avec plaisir, ma chère Sae-chan. »
 
C’était elle, où la voix de Naonori était devenue un peu plus chaleureuse encore… avec une pointe de tendresse à l’intérieure ?
 
« Ne vous attendez pas à quelque chose d’extraordinaire, je suis nulle en travaux manuels.
  • Je ne te demanderai jamais rien de compliquer. Je vais te laisser Sae-chan, ma réunion va débuter. Je suis vraiment heureux d’avoir pu te parler un peu.
  • Moi aussi… Naonori-sama.
  • Sae-chan !
  • Naonori tout court. » Reprit docilement et malicieusement Sae.
 
Le sourire qui s’affichait sur le visage de Sae s’élargit encore lorsqu’elle coupa la communication. Elle ne savait pas pourquoi, mais une certaine complicité était née entre eux… Pourtant, ils n’avaient pas été très longtemps en contact l’un et l’autre. Surprise par le bruit régulier du couteau qui tranchait sur une planche à découper, Sae leva les yeux vers l’homme qui lui faisait à manger. Elle grimaça en songeant à sa fonction, et au fait qu’il soit obligé de faire cette basse besogne…
 
« Euh… Hisano-san… vous savez, je peux m’occuper de moi-même toute seule ! »
 
Aucune réponse ne lui parvint. L’homme continuait sans se démonter à effectuer son plat sans écouter une seule parole de la jolie brune derrière lui. Sae se leva et le contourna. Se plantant suffisamment près pour qu’il la remarque, elle reprit calmement.
 
« Je peux appeler un traiteur et vous libérez… »
 
Le silence accompagna ses paroles. Sae posa une main sur son avant-bras, cherchant à lui faire quitter son attention une bonne fois pour toute de sa tâche ménagère. Hisano se tourna vers la jeune femme et Sae se recula précipitamment. Le regard noir luisait telle de l’onyx.
 
Un tremblement parcourait le corps de Sae sans qu’elle ne puisse savoir pourquoi. L’atmosphère était devenue froide.  Le tic-tac de l’horloge murale se fit entendre avec une netteté qui vrilla ses nerfs. Jamais elle n’avait remarqué jusqu’ici l’immense horloge de bureau accroché sur le côté du mur jusqu’à cet instant. Sae crut avoir une hallucination en voyant du givre sortir en nuage laiteux de sa bouche.
 
Un frisson glacé remonta sa colonne vertébrale.
 
« Je… je… » Voulu se défendre la jeune femme, mais Hisano déclara tranquillement, mais sur un ton polaire.
 
« J’exécute les ordres de mon maître ! »
 
Sae sous le choc ne réagit pas. Il la quitta du regard et repris son activité en ignorant l’étudiante qui grelottait malgré une hausse des températures palpables, où était-ce son imagination ? Lentement, Sae contourna avec un grand écart Hisano et marcha à reculons pour sortir de la pièce. Remarquant soudain qu’elle agrippait ses mains si fortement que toutes ses jointures avaient blanchi, Sae s’arrêta dans le couloir. Jamais elle ne s’était senti plus en danger qu’il y a à peine quelques secondes.
 
Craintivement, elle observa la porte de la cuisine, pour balayer le salon, la salle à manger et le couloir. Voyant ses affaires traînées, elle se décida à les ranger… pour dire de s’occuper. Se traitant d’idiote, elle ramassa ses sacs et son manteau pour les ranger. L’opération prit quelques minutes, au bout desquelles, Sae avait oublié l’incident dans la cuisine.
 
Elle se prit une douche et adopta des vêtements confortables. Un pantalon de sport noir moulant, avec un pull en mohair bleu. Lorsqu’elle traversa sa chambre, elle attrapa un oreiller et se dirigea vers le salon pour s’affaler sur le canapé. La grande télé Led, déversa un flot d’images zappées jusqu’au moment où les images noir et blanc d’un vieux film dans lequel Tatsuya Nakadai paraissant bien jeune, se défendant bec et ongles contre les samourai voulant l’éliminer.
 
Sae serra son coussin contre elle, et suivit le rythme rapide des escarmouches et profitait des plans plus longs, typique de l’époque pour insister lourdement sur l’ambiance tragique. La jeune femme regretta de ne pas avoir de pop-corn pour accompagner son film. Un corps en costume s’interposa entre elle, son coussin et la télé.
 
« Votre repas de ce soir est prêt… et j’ai rangé dans le réfrigérateur, le nécessaire pour vous demain midi. Je ne connais pas vos goûts concernant votre petit déjeuner. »
 
Étonnée, Sae observait l’homme froid qui la fixait sans laisser paraître une quelconque émotion.
 
« Euh… vous n’étiez pa… »
 
Sa voix mourut sur ses lèvres. Le regard intense dont la qualifia Hisano, lui fit oublier sa phrase. Un frisson involontaire la parcouru et l’homme s’en aperçu. Un léger froncement de sourcil se forma sur ses traits.
 
«  Auriez-vous peur de moi Ryuzoji-sama ?
  • Non ! Vous vous imaginez des choses… »
 
Sae rit un peu bêtement, mais l’angoisse qui lui avait pris l’estomac ne la quittait pas. Quelque chose chez Hisano n’était pas net. Elle serra contre elle, un peu plus fort son coussin et se racla la gorge.
 
« Je vous remercie pour ce que vous faites pour moi.
  • Je le fais uniquement pour Ryuzoji Naonori-sama. Si vous n’avez plus besoin de moi, je vais disposer.
  • Euh… non, je n’ai plus besoin de vous. Merci. »
 
Après s’être incliné légèrement, le secrétaire de Naonori la quitta de son regard soutenu et se dirigea vers la sortie. Sae se leva et suivit au loin cet odieux personnage. Ce n’était pas cela en fait… certes, il était odieux, elle n’allait pas le cacher… mais, un côté malsain l’accompagnait la laissant sans défense à chaque fois qu’il posait son regard sur elle. Son départ provoquait une grande joie intérieure à Sae. Débarrassé !
 
« Fermer la porte derrière moi. » Recommanda l’homme après un dernier regard glacé vers son interlocutrice. Inutile de me le dire ! Songea la jeune femme. Une fois que le ventail fut clos, Sae tourna le verrou à double tour. Au cas où il souhaiterait revenir pour une quelconque raison.
 
La jeune femme se dirigea ensuite vers la cuisine pour voir sur la table un plateau dressé et des plats attendant sagement sur la gazinière. Lentement, elle s’approcha comme si le contenu pouvait lui exploser à la figure. Une délicieuse odeur l’enveloppa. Son estomac gargouilla et oubliant toute méfiance, elle attrapa une cuillère en bois pour goûter au curry devant elle. Un Hum de gourmandise retentit dans la cuisine. C’était le meilleur curry qu’elle n’ait jamais eu l’occasion de déguster.
 
Sans façon, elle attrapa l’assiette dressée et se servit généreusement. Elle remarqua le mot à côté des casseroles lui indiquant qu’un dessert l’attendait dans le réfrigérateur, ainsi qu’une salade dans le réfrigérateur en guise d’entrée.
 
Une magnifique coupe de crevettes, pamplemousse et avocat, servit avec une onctueuse sauce rose l’attendaient. Et en guise de fin, une salade de fruits appétissante lui fit de l’œil.
 
« Dans ce gouvernement, ils sont tous recruter en fonction de leur talent culinaire ? » Chuchota Sae à elle-même. « Quoi qu’il en soit, j’n’ai aucune chance d’être recrutée ! »
 
Sae ricana et monta son plateau lourdement chargé pour pouvoir mater la télévision en toute tranquillité. Voilà comment elle voyait la vie. Le film précédent étant fini, Sae se chercha un programme intéressant et tomba sur un show amusant. Elle y participa activement tout en terminant le succulent repas qu’Hisano avait eu la gentillesse de lui préparer.
 
Comment Naonori pouvait-il travailler avec un type pareil ? Ils étaient tellement dissemblables. Sae resta un instant figé, perdue dans ses pensées. Elle se secoua une bonne fois, pour débarrasser le salon et faire la vaisselle. Une heure plus tard, elle tourna dans son appartement ne sachant que faire. Jusqu’à ce qu’enfin, elle se décide à entrer dans les pièces où elle n’avait pas eu le temps de fureter.
 
Jetant un regard circulaire autour d’elle, la jeune femme s’avança doucement vers la porte du bureau. Sa main resta une minute sur la clinche, son cœur battant à tout rompre. C’était le sanctuaire le moins dangereux de cet appartement. Si elle voulait connaître un peu plus son mari, elle ne devait pas attendre qu’elle soit uniquement en face de lui.
 
Franchissant le seuil, après une dernière inspiration, Sae s’arrêta et observa l’antre de son mari. Ce qui la frappa, se furent tous les murs occupés par des étagères formant une immense bibliothèque. Un bureau blanc aux pieds travaillés, trônait au centre sur un tapis persan confortable. À sa surprise, un encrier s’y trouvait et des plumes d’oies. Curieuse Sae s’approcha presque sur la pointe des pieds, écrasée par la solennité de la pièce.
 
Contournant les fauteuils en cuir, elle vit des stylos à plume Mont Blanc, posés sur un sous-main en cuir marron, dont les volutes d’or frisaient sur le contour. Des dossiers restaient sagement posés sur le coin du bureau attendant visiblement d’être consulté. Le mon[i] de la famille Ryuzoji était placé au milieu de la couverture cartonnée. Le cœur de Sae battit un peu plus vite. Et dire que son mari aurait pu être Go Seikei[ii].
 
Cette famille princière était la plus puissante du Japon… pourtant, les mauvais placements successifs du père de Naonori avaient réduit cette famille à consentir à des alliances différentes de leurs milieux. Sae avait pris le temps durant la semaine pour faire des recherches approfondies sur cette noble famille, très proche de l’empereur à son goût.
 
Son mari n’était vraiment pas n’importe qui. Il était l’un des secrétaire du Premier ministre, faisant parti de la chambre des conseillers, tout en occupant également un poste de conseiller à la mairie d’Osaka, cet homme devait avoir un emploi du temps monstrueux, surtout si on s’imaginait qu’il dirigeait le clan Ryuzoji qui était d’importance.
 
Comment son argent seul pouvait supporter son mari ? Sae avait cru qu’elle avait acheté son mari, mais en consultant les possessions qu’avaient cette famille, et les personnalités qui en faisaient partie… cela lui semblait une goutte d’eau ! Pourquoi son mari avait-il misé sur elle ? Elle n’était pas noble, et encore moins d’une quelconque utilité… puisqu’elle ne possédait aucune relation qui aurait pu lui être utile… Qu’attendait-il d’elle ?
 
Intriguée, Sae fit le tour de la bibliothèque. De nombreux livres de droits y figuraient en première place, puis des livres d’économies, dictionnaires, des classiques de la littérature japonaise, anglaise, française, et chinoise. Des livres d’histoire étaient intercalés parmi eux. Surprise de voir des papiers déborder des pages, elle en tira un sur le japon féodal et vit le livre largement annoté. Son regard se plissa en essayant de déchiffrer, mais les glyphes n’étaient pas du Japonais.
 
Fermant le livre, se posant plus de questions qu’elle n’en résolvait, Sae examina une dernière fois les lieux et quitta la pièce en prenant soin de laisser tout parfaitement intact. Ensuite, elle se dirigea vers la chambre qu’occupait son mari. C’était l’autre partie qu’elle ne connaissait pas de l’appartement. Pour se rassurer, elle retourna près de la porte d’entrée pour être sûre de n’entendre aucun bruit et se précipita ensuite vers sa chambre. Après une grande respiration, elle entra dans la pièce et s’arrêta pour refermer le battant aussi vite.
 
Son cœur allait se décrocher. La pièce était tout à fait fonctionnelle. Un lit, une table de chevet, un dressing. Et rien d’autre. C’étaient les couleurs noir et rouges qui l’avaient choquée. Enfin quoique le sol lui avait paru blanc ou gris ? Sae se recula. Qui aurait l’idée de décorer sa chambre en noir et rouge ? C’était… licencieux. Elle était même persuadée que le lit avait des draps en satin. Mais, c’était plus son imagination qui travaillait.
 
Le cœur battant Sae gagna sa propre chambre le visage couvert de fièvre. Son imagination galopait. Un homme de cet âge avec cette ornementation… qui lui faisait penser à celui d’un donjon ou… d’une chambre de maison close. Quoique pour le peu qu’elle est aperçu, rien dans cette pièce ne lui paraissait vulgaire. C’était la surprise qui l’avait poussé à se reculer précipitamment.
 
Dans son esprit, la chambre de Naonori était occupée par un futon avec une décoration japonaise de style ancien. Mais là, rien de tout cela. Le lit deux places était immense accentué par le couvre lit noir. Le pilier du lit était entouré d’un voilage rouge sang. Les meubles étaient laqués noirs et rouges. Un miroir en pied ouvragé et entouré de branche entrelacée l’entourait. Une guirlande de roses de couleur carmin et bordeaux se disputait la vedette sur le trépied.
 
Mû par une nouvelle curiosité, et une certaine audace mélangée à de la crainte de souiller un quelconque sanctuaire, Sae traversa le couloir une nouvelle fois le cœur battant. Elle poussa la porte à nouveau de la chambre et resta figée sur le seuil. Son œil ne l’avait pas trompé. Les murs étaient tapissés de noir et rouge. Le lit baldaquin attirait l’œil par ses dimensions, et le brillant du couvre lit en matière soyeuse.
 
En entrant dans la pièce, Sae s’aperçut de l’aspérité du sol qui était bien gris. Fait d’ardoise précisément. Quelques tapis moelleux de couleurs un peu plus soutenu, anthracites, égayaient le revêtement. L’atmosphère de la pièce était spéciale sous la lumière du jour. Jamais elle n’aurait imaginé que son mari puisse aimer ce genre de décoration… comme ses appliques ressemblant à des torches.
 
Sae se retira sans chercher à approfondir ses recherches, déstabilisée par ce qu’elle venait de découvrir. Ryuzoji lui réservait-il de nouvelles surprises ? Si oui, elle allait attendre un peu. Assommée par sa découverte, Sae se dirigea vers le salon et alluma de nouveau la télévision. Coinçant son coussin contre elle, elle observait l’écran d’un regard vide. Tant et si bien que le sommeil la prit par surprise. Des images de vampires et de satyres se mélangeaient dans ses cauchemars. Sous la fraîcheur de la nuit, Sae se recroquevilla à moins que le visage d’Hisano la poursuive de son regard noir et glacé…
 
°°0o0°°
 
L’entrée de l’immeuble était plongée dans l’obscurité. Maladroitement, Naonori réussit à ouvrir les portes du rez-de-chaussée, et tira sa valise derrière lui. Après avoir appuyé sur le bouton de la lumière, ses pas le menèrent à l’ascenseur. Une certaine adrénaline le parcouru. C’était la première fois depuis longtemps, qu’il était impatient de rentrer chez lui. Sae devait certainement être endormie dans sa chambre. Qu’importe de savoir la jeune femme proche de lui, lui procurait beaucoup de plaisir.
 
Tellement différentes de toutes les femmes qu’il approchait depuis quelque temps. Un vrai sourire se forma sur ses lèvres. Certes, elle était plate, et n’avait pas les courbes très généreuses de ses partenaires habituelles, mais cela le charmait… et puis, l’esprit de cette fille était rafraîchissant comme toujours. Vouloir en découdre avec Hisano et le traiter de tête de fouine lui avait permis de gagner son respect. Quoiqu’il n’en eût jamais douté.
 
Naonori se souvint de son regard apeuré, ou le défi se mélangeait… Les sentiments qu’il éprouvait pour elle était si singuliers. Sa mère lui avait montré un total de vingt dossiers de prétendantes, il y a à peine quelques semaines. Naonori en connaissait certaines, et les trouvaient trop conventionnelles. Et celles dont ils voyaient les visages semblaient identiques à tellement de visages connus de lui. La moins fortunée du lot était Sae Usami, même s’il avait laissé entendre à son père le contraire.
 
Il savait pourquoi son choix s’était porté sur elle dès le premier coup d’œil. Il était venu l’observer non loin de son université, il avait vu une jeune femme tantôt sérieuse, ou préoccupée et surtout pleine de vie. D’un côté tiraillé par l’idée d’un certain paraître, mais de l’autre n’hésitant pas à se déguiser ou à s’interposer lorsque son amie avait eu besoin d’aide.
 
Son cœur avait fondu lorsqu’elle avait franchi timidement la porte du rez-de-chaussée de l’immeuble. Il avait vu combien elle était troublée. Le fait qu’elle ait coupé ses cheveux de manière si grossière, ses vêtements masculins… Sa femme ne ferait rien pour le séduire. C’était nouveau… désaltérant. Quoi qu’il en soit, il était tombé amoureux une nouvelle fois irrémédiablement et comme à chaque fois, lorsqu’il croisait son regard.
 
Lorsqu’il franchit le seuil de son appartement, il fut surpris d’entendre le son de la télévision en sourdine. Après s’être déchaussé, il parcouru l’appartement et trouva Sae endormie et en même temps grelottante sur les coussins, serrant très fort contre elle son oreiller, comme elle l’aurait fait d’une peluche. Le sourire de Naonori devint tendre. Il s’agenouilla et se porta à la hauteur du visage de sa femme.
 
Ses doigts effleurèrent les mèches courtes qui donnaient un air si vulnérable aux visages à peine sorti de l’enfance. Naonori avait peur de la briser. Il s’était offert un beau bijou, mais à lui maintenant de le tailler pour qu’il resplendisse dans la cour où il l’avait introduit. Petit à petit. Un gémissement le tira de ses songes, l’homme se pencha et souleva le corps svelte de Sae, sans que celle-ci ne soit troublée.
 
Naonori progressa dans l’obscurité, et plaça sa femme entre ses draps. Il examina encore quelques instants le visage assoupi et plus paisible de l’endormie avant de quitter les lieux, heureux d’avoir pu la voir même quelques instants. Après avoir éteint la télévision et attrapé sa valise, il s’engouffra à son tour dans sa chambre. Un sourire flotta quelques instants sur les lèvres du noble. Manifestement Sae était entrée dans son sanctuaire. Il haussa les épaules. Peu importait… c’était sa femme après tout.

°°0o0°°
 
Les rayons du soleil dans l’interstice des voilages progressaient lentement jusqu’à caresser le visage assoupi de Sae. Cette dernière avait laissé une jambe échappée à ses couvertures, en plus de s’étaler sur l’ensemble du matelas. Les bras de la dormeuse reposaient derrière sa tête, ils n’eurent pas beaucoup de chemin pour couvrir les paupières qui papillonnaient sous la douce chaleur de la caresse solaire matinale.
 
Après s’être tournée violemment sur le côté pour essayer de dormir encore un peu, Sae ronchonna et ouvrit les yeux. La nuit avait été trop courte. Elle s’étira tel un félin pour s’apercevoir l’esprit embrumé qu’elle était dans son lit. Comment avait-elle pu gagner son lit ? Ne s’était-elle pas endormie sur le canapé ? Son esprit fouilla ses souvenirs, mélangés encore par les brumes du sommeil. Rien ! Peut-être s’était-elle déplacée telle une somnambule ? Par téléportation ? À moins qu’elle perde l’esprit, ce qui serait fort probable ses derniers temps. Surtout quand on voyait les raisonnements imbéciles qu’elle tirait.
 
Elle repoussa ses couvertures et traversa l’appartement, non sans avoir jeté un coup d’œil circonspect à la porte de Naonori. Quand elle songeait qu’il rentrerait peut-être le matin même, au pire l’après-midi. Qu’allait-elle lui dire ? Bon déjà, ne pas paniquer. Ce n’était pas parce qu’il avait des goûts douteux concernant la décoration de sa chambre qu’il n’était plus l’homme gentil qu’il semblait être. Décidément, l’image de son mari la poursuivait sans cesse. Était-il devenu son obsession ?
 
Sae entra dans la cuisine après avoir jeté un coup d’œil au genkan. Elle réfléchissait à ce qu’elle allait se préparer. Un thé et des toasts ? C’était dans ses cordes… Sa main qui caressait son ventre à l’idée d’engloutir un repas, alors qu’elle mourrait de faim, s’arrêta brutalement. Son esprit fit un resete. Son cœur se mit à cogner très fort dans sa poitrine. Son imagination venait encore de frapper. Pourtant, elle recula en fronçant les sourcils et son regard tomba sur les chaussures italiennes de son mari. Son esprit éclata comme une bulle de savon.
 
Elle se tourna brusquement, sentant une présence derrière elle, et elle rencontra l’air endormi de Naonori qui se grattait le haut du front. Ses cheveux étaient défaits. L’homme arborait un air endormi, et son pyjama noir mettait en valeur sa puissante musculature. Sae ne su ce qui lui prit. Tout au moins, elle agit par impulsion heureuse comme jamais elle ne l’avait été auparavant. Elle bondit dans les bras de son mari, et lui sauta au cou.
 
« Naonori tout court ! Vous êtes rentré ! » Déclara Sae joyeusement.
 
L’homme parut surpris mais enlaça par reflexe la jeune femme qui devint brusquement écarlate devant son comportement non conventionnel. Sae voulu se reculer anéantie et confuse. Naonori l’en empêcha et déclara chaleureusement
 
« Quel plaisir d’être accueilli de la sorte Sae-chan…
  • Je suis désolée… je… je ne sais pas ce qui me prends… je…
  • Sae-chan… je suis très heureux de te voir également. Cet accueil me fait d’autant plus plaisir. »
 
Sae rencontra le regard radieux de son mari. Son esprit se perdit dans la profondeur de ses yeux si noirs. Pour la première fois la jeune femme s’aperçut qu’elle attendait son retour avec une grande impatience. Elle n’avait fait que penser à lui, toute la semaine. Était-elle normale ? Cela faisait une semaine qu’elle était mariée, et elle ne le connaissait pour ainsi dire pas. Que lui prenait-il ?
 
« J’ai bien fait de me hâter de rentrer pour te retrouver… j’étais moi-même impatient.
  • Oh… » Rougit Sae.
 
Naonori reposa sa femme sur le sol. Sae se recula toujours profondément gênée. L’homme politique ne voulant pas brusquer sa timide épouse, lui adressa un sourire un peu plus large. Il s’avança dans la pièce et lui proposa gentiment.
 
« Je suppose que tu avais faim ?
  • Euh… oui… »
 
Le comportement de son mari la laissait perplexe. Comment pouvait-il être aussi calme ?
 
« Que préfères-tu pour ton petit déjeuner… à la japonaise, à l’anglaise ou à la française ?
  • Française…
  • Tout comme moi… »
 
Naonori adressa un clin d’œil complice à Sae qui ne pu s’empêcher de répondre par un sourire rayonnant. La jeune femme avait l’impression de flotter, que des ailes lui poussaient. Sae s’assit sur une chaise et reporta son attention sur Naonori.
 
Jamais, elle n’avait été aussi légère de sa vie. Tous les soucis, les ennuis, les réflexions, sa famille… absolument tout avait disparu. Plus rien n’avait d’importance dans sa vie, sauf Naonori. Son cœur battait la chamade et elle avait cette désagréable impression de mains moites. Elle ne parvenait pas à quitter du regard la haute silhouette qui se déplaçait avec aisance dans la cuisine. Et brusquement alors qu’il se tournait vers elle, Sae remarqua qu’il l’interrogeait. Incapable de répondre, elle devint écarlate.
 
Que lui arrivait-il à la fin ? Son désarroi devait se lire sur ses traits car, Naonori s’approcha d’elle et s’agenouilla. Une main large se posa sur son front, le visage trop proche de son mari exprimait l’inquiétude.
 
« Serais-tu malade ? Tu grelottais cette nuit lorsque je t’ai vu dormir sur le canapé…
  • C’est vous qui m’avez porté jusqu’à mon lit ? S’étonna Sae.
  • Tu croyais y être arrivé comment ? Sourit Naonori étonné.
  • Je dirai que mon cerveau a émis trois hypothèses… mais pas celle où vous m’auriez porté jusqu’à mon lit. »
 
De plus en plus surpris, Naonori haussa les sourcils interrogatifs. Sae rougit légèrement et avoua mal à l’aise.
 
« J’ai songé au somnambulisme, à la téléportation ou bien la folie accompagnée de sérieuses pertes de mémoire… »
 
D’abord abasourdi, Naonori ne répondit rien, pour soudainement éclata de rire. Il tira sa femme à lui et la serra contre son torse.
 
« Tu es adorable… ne change pas Sae-chan… je t’aime telle que tu es ! »
 
Le regard de Sae s’adoucit, elle posa son front contre l’épaule solide devant elle. La place qu’elle occupait, elle ne voulait pas l’abandonner et cela pour rien au monde. Relevant son visage, elle croisa le regard noir où le reflet des lampes de cuisine était illuminé une flamme identique à la sienne.
 
Une de ses mains remonta vers le visage mal rasé, qu’elle caressa avec hésitation au départ, mais voyant le manque de réactions, elle s’enhardit à toucher chaque parcelle de peau comme pour imprimer ses traits avec le bout de ses doigts.
 
Lorsque la pulpe de ses phalanges effleura la bouche sensuelle de son mari, ce dernier les emprisonna entre ses lèvres. Son cœur allait exploser, son trouble lui brouillait son cerveau, l’empêchant d’avoir un raisonnement censé. Toute son âme était aspirée par le regard profond et intelligent de Naonori. Ce dernier embrassa chacun des doigts de Sae avec tendresse, avant de se pencher en avant comme ensorcelé par son regard.
 
La jeune femme s’aperçut qu’elle lisait dans le regard de son mari comme dans un livre ouvert. Son visage resta un instant suspendu, comme s’il lui permettait de s’échapper… Sae enlaça son cou, envoûtée et franchit la distance qui les séparait pour l’embrasser. Naonori ne se fit pas prier pour répondre. Sae se retrouva assise contre lui, accroché à ses épaules, oubliant tout, sauf cette bouche qui caressait la sienne. Cette langue qui s’immisçait entre ses lèvres pour rechercher le contact de sa jumelle.
 
Sae s’abandonna bien vite voulant réduire la distance ne faire qu’un avec cet homme aux pouvoirs étranges… qui lui faisait oublier toutes résistances, ses convictions, l’embrouillant et la troublant au-delà de tout ce qu’elle avait connu jusqu’ici. Seules ses mains qui encerclaient sa taille, lui caressant le bas du dos, pour se glisser sous les vêtements trouvant le contact de sa peau la ramenaient à la réalité. Sa chair électrisée se soulevait sous le contact sensuel.
 
Le souffle de Naonori lui rasait la chair, déclenchant un frisson incontrôlé. Lorsque le baiser se cassa, leurs fronts se collèrent l’un à l’autre. Leurs expressions s’étaient faites graves. Sae chuchota d’une voix faible.
 
« Je… je suis dépassée par ce qui se passe… »
 
Naonori eut un sourire faible.
 
« Petit bout de femme, au visage angélique… tu as capturé mon cœur. »
 
Sae devint écarlate, ne s’attendant pas à ce genre de phrase. Pourtant, elle se sentait sur la même longueur d’ondes que son mari. Sae murmura la voix enrouée.
 
« Naonori-sama… Je ne suis pas douée pour faire de belles phrases, je crois que c’est le coup de foudre le plus rapide de toute la Terre ! »
 
L’homme rit franchement et serra sa femme contre lui, et se redressa, la soulevant par la même occasion. Son expression se modifia, et une flamme nouvelle alluma son regard. Sae était hypnotisée et son souffle se fit plus court. L’étreinte autour de la jeune femme se fit plus ferme, alors que la voix rauque de Naonori chuchotait tel un serment.
 
« Ma mie… Peut-être sommes-nous fous ? Ou les plus idiots ? Je veux bien être interné pour ce motif. Mourir pour cette conviction frivole que sont les sentiments… être traité comme le plus misérable des hommes… à la condition que vous ne regardiez que moi. Je vous promets de vous adorer pour le reste de mon existence Sae-chan… Je vous aime… »
 
 


[i]  Mon = blason héraldique d’une famille noble. (appelé aussi kamon)
[ii]  Go Seikei = régent (titre féodal).

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